Evidemment, si vous pensez Bécassine, Tintin, Spirou… vous doutez de la pertinence de mon titre. Si je vous dis Lorenzo Mattotti, Edgar P. Jacobs, Annie Goetzinger, Yves Saint Laurent, Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler, Luc Besson, Nicole Lambert, vous êtes intrigués… Suivez moi dans l’inspirante exposition Mode et bande dessinée à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême.
Influences croisées
C’est une idée de génie qui a demandé deux ans de recherches, de préparation pour concrétiser cette superbe exposition inédite.
Plus de 200 planches originales sorties pour l’occasion des fabuleuses réserves du musée de la bande dessinée , côtoient vêtements, bijoux, parfums, accessoires prêtés pour l’occasion.
Ils émanent de collections publiques et privées : musées, maisons de couture, galeries, artistes, collectionneurs…Un regard croisé, étonnant, émouvant, malicieux, dont on ressort ébloui.
Reproduction d’une planche de Jeunes filles en Dior d’Annie Goetzinger publié en 2013.
Deux univers proches
Saviez vous que le créateur de Blake et Mortimer avait commencé sa carrière comme illustrateur de mode ? Que le grand Lorenzo Mattotti avait lui aussi travaillé pour Vanity, Cosmopolitan ? que Nicole Lambert avait été mannequin avant de croquer sa fameuse maman fashion et ses trois triplés à la langue bien pendue ?
L’exposition, visible à Angoulême jusqu’au 5 janvier 2020, vous fait pénétrer dans ces deux mondes de création. Les passerelles y sont multiples. Elles permettent de se faufiler de l’univers de la mode à celui de la bande dessinée et inversement. Ce jeu de miroir et de séduction mutuelle, voire de sujet de caricature n’est pas récent.
Windsor Mc Cay en est un des précurseurs. Son regard est souvent ironique sur le vêtement féminin. Dans Dream of the Rarebit Fiend, il dessine un oiseau sur le chapeau d’une femme ressemblant étrangement à sa propre épouse, qui est plus imposante que lui. Cet oiseau s’anime soudain, bat des ailes, s’envole, emporte l’élégante avec lui dans les airs. Petite vengeance masculine un brin mesquine en somme…
La pratique du dessin, dénominateur commun
Les auteurs et les couturiers ont cette pratique en commun d’exprimer leur créativité par le dessin. Nombre d’auteurs de bande dessinée et non des moindres ont commencé leurs carrières en publiant des dessins de mode dans des magazines prestigieux : Edgar P Jacobs a travaillé pour des catalogues de mode à Bruxelles en signant de superbes réalisations de costumes féminins et masculins.
Lorenzo Mattotti jeune dessinateur dans les années 80 a travaillé au sein d’un collectif regroupant plusieurs artistes, pour le prestigieux magazine Vanity. Puis en solo, il a poursuivi une collaboration régulière avec Cosmopolitan, The New Yorker, Playboy…
J’ai découvert, mais je ne suis pas la seule et c’est tout l’intérêt de cette exposition, qu’Yves Saint Laurent avait joué dans les deux registres. Il en est effet l’auteur de planches de bande dessinée publié en 1967 dans un album intitulé “La vilaine Lulu”,. C’est une petite fille très politiquement incorrecte toujours accompagné d’un rat blanc: drôle, impertinente, cruelle et ironique. Cette vilaine Lulu a été pour le créateur, un exécutoire pour se moquer de certains travers qu’il voyait autour de lui. Il a malicieusement précisé que « toute ressemblance avec des personnes qui existent ou qui ont existé est parfaitement voulue »
La mode influencée par la bande dessinée
Les créateurs français ont été nombreux à jouer sur les codes de la bande dessinée, à créer des silhouettes totalement “bande dessinée” pour habiller les actrices de films, ou à s’inspirer directement de personnages BD. Jean Paul Gaultier, Castelbajac, Mugler et son costume de Catwoman en sont des exemples parfaits.Pour Thierry Groensteen, commissaire de cette exposition, rien d’étrange à cela : “C’est générationnel : les créateurs de mode ont grandi avec le 9e art et, depuis 1968, s’en sont emparé.”
Luc Besson et Manara ont quant à eux réinterprété l’histoire du loup dans la célébrissime pub de Chanel N°5.
Bref, les exemples sont nombreux, et c’est le mérite de cette exposition minutieusement documentée, de remettre en perspectives ses aller-retours créatifs incessants entre mode et bande dessinée.
Mode et BD l’exposition labellisée d’intérêt national.
J’ai eu le privilège d’assister au vernissage très privé de l’exposition en compagnie de Frédéric Mitterrand, Président du Comité de parrainage, et d’invités internationaux dont Lorenzo Mattotti et son épouse, la lumineuse Pritti Paul …
Vous pouvez retrouver toute l’érudition de Thierry Groensteen, commissaire de l’exposition, dans la collection Bouquins chez Robert Laffont.
Ce fut à tout égard une soirée pétillante d’esprit et de partage achevée par un dîner en plein air dans les jardins d’une superbe maison jouxtant le musée.
Depuis le 25 juin, le musée a reçu un nombre impressionnant de visiteurs. L’exposition a eu les honneurs du New York Times et de nombreux de médias français et étrangers. Si vous ne l’avez pas encore vu, il vous reste un peu plus d’un mois pour la découvrir. Je vous y invite fortement.