Le phylloxera, cette vilaine bébête qui a ravagé les vignobles dans le monde entier à la fin du 19è siècle est la star des deux musées de Cognac jusqu’à la fin de l’année. Il fallait oser mettre le sujet à la Une, dans une région viticole qui n’ a pas été épargnée par le furieux ravageur, ils l’ont fait ! Vous pourrez trouver dans cette double exposition des réminiscences avec une actualité qui a largement perturbé nos vies depuis mars 2020. Comment le vignoble et les viticulteurs ont pu renaître de cette tragédie ? C’est à cette épopée humaine et scientifique que l’exposition visible au musée d’art et d’histoire et au musée des savoir-faire du cognac vous convie jusqu’au 31 décembre 2022.
Sournois et inexorable
Le phylloxera est arrivé à bas bruit. Identifié pour la première fois dans le Languedoc, il fait son Tour de France, laissant les hommes totalement impuissants et désespérés. La pandémie est mondiale. Une course contre la montre se met en place, la recherche s’accélère, les hommes s’unissent pour trouver des solutions. Des idées les plus farfelues aux solutions plus pérennes se bousculent et s’entrechoquent. Cela vous rappelle quelque chose ? Ce prédateur a causé un bouleversement viti-vinicole, social, sociétal et économique il y a 150 ans.
Le phylloxera insecte protéiforme
Le phylloxera ne laisse aucune chance à la vigne. Cet insecte à la forme changeante pond des milliers d’oeufs dans les galles formées au point de la piqure sur les jeunes feuilles. Une partie de ces nouvelles naissances se dirige alors vers les racines. Et le cycle se poursuit. Ce reproducteur “gallicole” descendant dans la terre au printemps donne naissance à des milliers de “radicoles” qui attaquent les racines. Une autre partie des insectes nés à l’air libre migrent avec le vent vers d’autres vignes et d’autres lieux. Le mal est imparable.
Bien qu’il soit artistiquement scénographié dans l’exposition, c’est vraiment une sale bête. Il arrive dans le Gard en 1860 en provenance des Etats-Unis et est identifié à Montils (17) en 1868, signant son arrivée dans les vignes de cognac après avoir ravagé le bordelais. A partir de 1875 il ruinera et les vignes et les viticulteurs, condamnera leurs journaliers à partir vers les villes. Des 280 000 hectares du vignoble qui s’étendait jusque dans le sud des Deux-Sèvres, il n’ en restera que 52000 en 1891.
Il faudra alors plus de 20 ans pour voir réellement la renaissance du vignoble et du paysage. Mais plus rien ne sera cependant comme avant. Après le désespoir, la ruine, l’exode rural, la disparition de la plus grande partie du vignoble, le paysage et les cultures sont profondément modifiés. Des familles paysannes en provenance notamment de Vendée et des Deux-Sèvres s’installent pour faire des cultures céréalières et de l’élevage laitier lequel contribuera à la naissance du beurre des Charentes… Mais l’histoire de la vigne et du cognac étant indissociable du territoire, la reconstruction du vignoble était une évidence. La renaissance s’est appuyée sur 3 piliers inédits à cette époque : l’aide importante des pouvoirs publics, l’Etat intervenant financièrement de manière conséquente pour une des premières fois de son histoire, la mobilisation tous azimuts des scientifiques toutes disciplines confondues, et la mise en place d’une organisation locale sous l’égide du négoce, qui a abouti in fine, à la création de la station viticole de Cognac, puis au décret-loi de 1909 déterminant l’aire géographique de la région délimitée définissant l’appellation cognac. La solution retenue des porte-greffes américains a contribué à créer un nouveau métier, celui de pépiniériste viticole. Enfin les nouvelles pratiques ainsi que l’apprentissage des replantations et de l’entretien de la vigne ont donné naissance aux écoles de viticultures, précurseurs des lycées agricoles.
Cette pandémie à l’échelle planétaire a largement bouleversé les pratiques culturales, les sociétés mais également au début du XX è siècle le commerce du vin, faisant émerger de peu recommandables liquides réalisés avec du sucre, les fameux “vins de sucre” ou des teintures artificielles dont certaines très dangereuses pour la santé. La création “d’usines à vin” dans le midi écoulant des vins de mauvaise qualité de provenance diverse a entraîné de grands conflits sociaux qui ont marqué ce territoire pour des décennies.
Une résonance avec l’actualité
C’est pourquoi cette double exposition, osée en terre de cognac, et largement documentée, permet de se plonger en détail dans cette histoire aux entrées multiples. Aujourd’hui, les sujets de préoccupations sont nombreux : changement climatique, pratiques culturales en évolution, nouveaux ravageurs, situation internationale incertaine et pérennité des marchés… J’ai retenu pour ma part que l’intelligence collective, la capacité des hommes à se regrouper et faire front ensemble , la volonté de travailler autrement et de s’adapter aux nouvelles donnes a été la clé de la renaissance du vignoble et du retour à la prospérité.
Ravageur des vignes et des vies
Chacun a essayé, testé, cherché des solutions pour éradiquer ce puceron diablement résistant, sauf peut être aux sols sablonneux et à l’eau. Raison pour laquelle les vignes ont pris des allures de rizières lorsque c’était possible de faire circuler de l’eau dans les inter-rangs. Le phylloxera a fait l’objet d’une intense mobilisation. Celle de l’Etat qui par le biais d’un concours doté de 300 000 francs de l’époque, a incité fortement à la recherche de solutions. Celle des viticulteurs et des scientifiques, mais également celle des gourous, mystiques, et charlatans profitant de la désespérance pour s’enrichir à bon compte. Entre mousse céleste (sic), cubes gélatineux, et incantations, les propositions les plus farfelues se sont également développées.
Eloge de la lutte
Les scientifiques, nombreux à travailler sur la maléfique bébête et les vitis sont arrivés in fine à 3 solutions : la submersion des vignes dans l’eau en terrain plat, le traitement des racines par injection de sulfure de carbone… brrr ! …
…Et enfin, le greffage des cépages français sur des porte-greffes américains, sorte de compensation puisque le puceron était arrivé des Etats-Unis ! Encore a- t-il fallu trouver le bon porte greffe ce qui a pris encore du temps.
C’est ainsi que les vignes francs de pied, plantées “en foule”, (autrement dit en vrac et sans ordre) ont laissé place aux alignements que l’on connaît aujourd’hui dans tous les vignobles.
Enfin avant que vous ne me posiez la question, non le phylloxera n’est pas mort, il est endémique mais très surveillé, et la recherche sur toutes les maladies de la vigne est aujourd’hui une science à part entière.
Comme vous l’aurez compris, que vous soyez professionnel de la vigne et du vin, ou non, je vous recommande cette double exposition.