Cachée au milieu des saules et des tilleuls, cette petite distillerie bijou raconte à elle seule l’histoire d’une famille et sa volonté de faire perdurer l’héritage des aïeuls, tout en y apportant sa propre marque de fabrique. La Famille Naud puise avec délectation dans son patrimoine pour se réinventer en permanence dans une démarche résolument contemporaine.
Un lieu insolite.
J’avais rencontré la famille Naud lors du dernier Vinexpo en mars dernier juste avant le confinement et j’avais promis de venir voir cette petite distillerie dont l’histoire m’intriguait.
En arrivant à la Distillerie de la Tour pour visiter une petite distillerie posée sur son île, j’avoue avoir pensé que mon GPS m’avait induit en erreur, tant l’immensité du lieu et des bâtiments ne correspondaient pas vraiment à l’idée que je m’en étais faite. J’étais pourtant bien au bon endroit !
La fabrique de liqueurs d’Emile Perrier a bien grandi, c’est le moins que l’on puisse dire. Et la petite distillerie des débuts est bien cachée, de l’autre côté de la petite route et des bâtiments impressionnants.
Une histoire de famille
C’est au début du 20è siècle, qu’Emile Perrier achète l’ancien moulin à grains de Pinthiers qui occupe la quasi totalité de la microscopique île du même nom à Pons. Liquoriste réputé, il y fabrique pendant des années ses crèmes de fruits et liqueurs qu’il vend dans la France entière.
Il consigne dans de précieux carnets, ses essais et recettes secrètes. Puis peu à peu cette petite distillerie s’endort, mais pas la tradition de maîtres distillateurs de ses descendants. Et c’est en 1980 que Jean Michel Naud, gendre du petit-fils du créateur et oenologue de formation, en hérite et redécouvre les 5 alambics traditionnels de 25 hl en très bon état. Passionné par les arômes de vins et de spiritueux, il imagine aussitôt les cognacs qu’il peut élaborer avec cette pépite préservée. C’est la renaissance de la petite distillerie de Pinthiers qui donne naissance à des cognacs racés et élégants, appréciés des connaisseurs.
Un sacré caractère
Cette petite distillerie se mérite. Elle se dévoile progressivement en passant le pont de bois qui y conduit, protégée par les tilleuls et les saules, qui sont désormais l’image de la Famille Naud. Sa première singularité réside dans ses 2 réfrigérants situés à l’extérieur. A l’intérieur, on se retrouve immédiatement immergé au coeur du secret, les 5 alambics installés le long des 4 murs laissent un espace relativement réduit au centre, qui agit comme un cocon. Carrelage au sol portant les initiales du fondateur, briques de charbon pour rappeler l’ancien système de chauffe, cuivres astiqués, chaque détail raconte une histoire.
5 alambics et 5 manières de distiller, chacun a son propre tempérament et c’est tout l’art du distillateur de leur faire révéler le meilleur d’eux-mêmes en les utilisant avec doigté et déférence pour éviter les caprices éventuels de ces ancêtres !
Dire que cette distillerie possède sa personnalité propre n’est pas un vain mot.
Si vous êtes un peu perdu par le principe de la double distillation du cognac, cette petite vidéo très bien faite du BNIC pour faire de vous des experts. Et pour approcher au plus près ce moment magique, cet article déjà publié
Les distilleries de l’autre côté de la rue
Dans ce paysage rural, tout proche du centre ville de Pons, le site de la Distillerie de la Tour est imposante.
La grande soeur de Pinthiers
La nouvelle distillerie, dont les volumes n’ont rien à voir avec celle de Pinthiers permet de distiller les eaux-de-vie de la propriété de la Famille Naud. Vous connaissez ma passion pour les distilleries, j’ai vraiment adoré.
Après avoir distillé quasi exclusivement pour des maisons de négoce, comme cela se pratique ici, Jean Michel Naud et ses enfants ont créé leur propre marque Famille Naud et propose ainsi 4 cognacs VS VSOP XO et et le rare Cognac Extra. Ils distillent toujours pour des négociants en parallèle. Leurs cognacs sont des habitués des récompenses internationales.
L’autre dimension
J’avoue humblement que le cognac est le seul spiritueux que je bois. Ne comptez pas sur moi pour vous donner des avis sur les gins, vodkas et autres spiritueux premium fabriqués dans la région, j’en serais bien incapable. Je n’étais donc jamais entrée dans une distillerie à grain, celle de la Tour est impressionnante, évidemment nous sommes dans un tout autre monde.
C’est en 1999, alors que la crise du cognac faisait rage, que Jean Michel Naud a eu l’idée d’implanter la première distillerie de vodka dans la région. A l’aide de 3 colonnes à rectifier il commence à élaborer des alcools de blé français et accompagne depuis lors des marques de vodka françaises des plus prestigieuses.
Et la “collection” s’est agrandie avec un gin et un rhum sur lesquels la famille Naud a imprimé sa “patte”en puisant une fois encore dans son histoire.
Le gin
Revenons donc à Emile Perrier qui avait concocté en secret, un gin original qu’il ne commercialisa pas. Jean-Michel et son fils, Pierre Naud ont retrouvé dans les carnets les ingrédients et les formules et après de longs essais avec leur maître de chai pour composer un bouquet d’arômes correspondant aux goûts contemporains, ont proposé leur propre gin. Un bel hommage à l’ancêtre liquoriste.
Le rhum
C’est encore une histoire de famille, une histoire de destins croisés, celui de la Famille Naud et celui d’une famille de maîtres rhumier panaméen dont le fondateur créa le premier moulin à sucre du Panama en 1908, qui deviendra la toute première distillerie du pays en 1936. Coincidence presque parfaite des dates et des parcours d’excellence. Cette rencontre a donné lieu à 3 rhums élaborés au Panama qui traversent ensuite l’Atlantique pour parfaire leur vieillissement à Pons.
Au moment de la dégustation, j’ai fait une entorse à mon cher cognac pour goûter Hidden Loot tant cette histoire de pirate, de trésor caché (encore une fois !) était intrigante et terriblement tentante.
Après deux ans de vieillissement en fût de bourbon au Panama, le rhum traverse l’Atlantique pour arriver à Pons. Il est alors enrichi en fines épices et arômes naturels, recette top secrète concoctée par le maître de chai de la Famille Naud et les cahiers d’Emile Perrier : orange bigarade, fève de tonka, avec une subtile pointe de piment oiseau…
Pendant toute cette visite, Clarisse Naud m’a entraîné avec passion dans cette saga familiale. Revenue auprès de son père et de son frère après un début de carrière dans les vins et spiritueux, elle porte avec enthousiasme cette envie de faire connaître et partager, le savoir faire de la famille. Merci Clarisse pour cette belle matinée de découvertes et de partage.