La couleur de certains murs et toits du cognaçais pourrait laisser penser au visiteur non averti que les habitants n’entretiennent pas leur demeure. Or qui dit pierres et tuiles noircies, dit précieuse eau-de-vie à l’intérieur.
Non loin des vignes, certains chênes verts, charmes, noisetiers ou tilleuls grandissent dans la plus grande discrétion. L’hiver venu, hommes et chiens parcourent méticuleusement ces endroits secrets pour récolter un champignon de couleur noire qui donne une saveur particulière aux repas de fêtes : la truffe.
Le noir du torula compniacensis sur les murs et le noir du tuber melanosporum racontent une belle histoire, celle du temps et de la nature.
Des anges un peu gourmands
Après la distillation qui s’arrête à la fin de l’hiver, l’eau de vie est mise en barrique de chêne. Elle va vieillir dans l’obscurité des chais pendant de longues années. Un subtil échange nait entre la barrique à la fois étanche et perméable, et son précieux contenu. Il va permettre au fil du temps de diminuer la force alcoolique et le volume du cognac tout en révélant peu à peu ses arômes complexes. Cette évaporation naturelle est appelée « la part des anges ». Des anges amateurs de cognac et pour le moins gourmands puisqu’il est courant de dire que l’équivalent de plus de 20 millions de bouteilles sont “bues” par les anges chaque année… Ces vapeurs d’alcool qui se dégagent des chais nourrissent le torula compniacensis, petit champignon microscopique, c’est lui qui donne cette couleur noire aux pierres et aux toits de tuiles. Il désigne donc naturellement l’emplacement d’un trésor qui évolue lentement à l’abri de regards.
Un champignon noir pour les gourmets
Sur les terres calcaires du cognac, bénéficiant de la proximité immédiate de l’Atlantique, la truffe a trouvé son territoire depuis plusieurs siècles. Il se dit même que le roi François 1er, né à Cognac, aurait été l’instigateur de la notoriété de la truffe en Charente dès le 16èsiècle. La truffe a connu son apogée en 1870 après la crise du phylloxera qui ravagea le vignoble.
Les viticulteurs ont alors planté des truffières. Le marché de la truffe en Charente produisait à lui seul 50 tonnes par an soit 10 tonnes de plus que la production nationale aujourd’hui. On compte 700 hectares de truffières disséminées dans la campagne charentaise. La culture de la truffe reste mystérieuse et aléatoire en fonction des années. La récole a lieu entre novembre et février.
Démonstration de “cavage” organisée par le syndicat des trufficulteurs de Charente.
Je vous emmènerai à la saison dans un lieu prisé des amateurs : le marché aux truffes de Jarnac, qui démarre au son de la trompe à 9 heures 30 précises.
En bref, deux champignons très différents qui ont en commun un rapport direct à la patience, au savoir-faire, au temps qui s’écoule lentement et à une alchimie subtile qui n’a rien d’automatique ou de certain.
Ici, le noir est une promesse de bonheur.
Nul doute que cette double histoire plairait au maître du noir : l’immense Pierre Soulages, dont le musée à Rodez est une merveille.
Pierre Soulages – L’œuvre au noir – Musée Soulages de Rodez