Quand Pierre Lungheretti, Directeur Général de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image, initiateur de cette fondation, m’a proposé de siéger à ses côtés dans le Conseil d’Administration de la Fondation Cité du 9è art abritée au sein du prestigieux Institut de France, je ne vous cacherai pas que je n’ai pas hésité longtemps : c’est une proposition qui ne se refuse pas.
Créée fin 2019, la Fondation a pu tenir officiellement son premier conseil en mars 2021, quai Conti, un moment fortement symbolique. Ceci étant, elle n’est pas restée inactive pendant cette année 2020 si compliquée pour la culture. Mais ses missions, ses projets ne sauraient s’arrêter à cette situation inédite de pandémie.
Plus que jamais, la culture, l’accès à l’éducation par la lecture, sont vitaux pour ouvrir les yeux, l’esprit, développer le sens critique, décrypter le monde qui nous entoure, ne pas le réduire à une succession de postures aussi dérisoires qu’éphémères qui font mouche sur les réseaux sociaux, mais contribuent à diviser et à appauvrir toute forme de réflexion.
D’Angoulême vers le monde entier et vice-versa
Connue comme la capitale de la Bande Dessinée, Angoulême voit tous les regards portés sur elle chaque fin janvier depuis 1974 lors de l’emblématique festival. Mais ce serait une erreur de penser que le puissant rayonnement envoyé dans le monde s’éteint une fois l’évènement achevé.
La Cité internationale de la Bande Dessinée et de l’Image porte à l’année l’étendard du 9è Art partout dans le monde. Je vous ai récemment parlé du dernier évènement important en date dans les Balkans avec l’itinérance en Croatie de l‘exposition Mode et BD qui a connu une affluence considérable en 2019 au sein de l’espace d’exposition temporaire du Musée de la BD.
La Cité noue des partenariats partout dans le monde à longueur d’année, comme elle nourrit le dialogue avec de multiples acteurs locaux qu’ils soient autrices, auteurs, associations, institutions, monde économique.
Je vous propose donc cet entretien avec Pierre Lungheretti.
Pourquoi une fondation Cité du 9è art – Institut de France ?
Pierre Lungheretti “J’ai voulu souder le territoire autour de cet établissement unique en Europe, qui a servi de modèle à d’autres établissements de ce type dans le monde, tel que celui de Séoul. Il me semblait important de créer une “coalition” d’acteurs autour de la Cité, un des emblèmes forts de notre territoire, afin que le monde économique local puisse partager et soutenir les enjeux globaux de la bande dessinée dans toutes ses potentialités , sociale, éducative, artistique… L’influence de la bande dessinée irrigue aujourd’hui toutes les formes artistiques et cette dynamique est évidemment très porteuse pour sa reconnaissance académique et institutionnelle. La Cité porte de grands projets en matière de rayonnement de la bande dessinée, notamment avec le Centre National du Cinéma, le Centre National des Arts Plastiques, le Centre des Monuments Nationaux… Il est donc important d’avoir cette Fondation pour accompagner cette dynamique et embarquer aussi dans cette aventure les acteurs économiques qu’ils soient locaux, nationaux, internationaux.
Quelle place la bande dessinée occupe-t-elle dans le décryptage du monde ?
Pierre Lungheretti “D’un secteur très marginal jusqu’aux années 70, considérée souvent comme destinée uniquement à la jeunesse, la BD est devenue un secteur très dynamique qui diffuse d’ailleurs une image de la France très créative et inventive. Il y a une appétence pour la France à l’égard de la BD dans toutes ses composantes : alternative, grandes séries (comme L’arabe du Futur, Le chat du rabbin…), les BD de tradition franco-belge…
Son public s’est élargi considérablement, générationnellement parlant, mais également parce qu’elle croise plusieurs disciplines artistiques : les arts plastiques le cinéma, les jeux vidéo, la littérature. J’explique le grand succès de la bande dessinée dans notre période dans laquelle le monde est envahi par des flux d’images souvent informatives, par le fait que la bande dessinée est une image créée par la main de l’homme qui ouvre sur l’imaginaire. Elle est source de création d’un nombre incalculable de mondes imaginés par la médiation de la main de l’homme. C’est l’éloge de l’extrême diversité, du savoir faire technique humain. La bande dessinée a approfondi la représentation de la figure humaine et a permis de garder une continuité avec l’art figuratif et du coup elle influence certains pans de l’art contemporain dans le cadre d’un retour à la figuration. Son influence est donc considérable”
Les grands objectifs de la Fondation Cité du 9è art
En accompagnant le développement du 9è art dans toutes ses composantes, et notamment à travers les grands projets de la Cité, la fondation se propose de travailler sur 5 axes principaux : le soutien à la création et aux auteurs, la valorisation du patrimoine et le développement de sa connaissance, l’exploitation du potentiel éducatif de la bande dessinée, le soutien à la recherche et à l’innovation, et bien entendu le développement du rayonnement national et international.
La Fondation va ainsi matérialiser tout ce qui a été fait depuis des années, notamment à l’étranger et participer activement au rayonnement international de cet art au croisement de nombreuses disciplines artistiques.
La bande dessinée porte d’accès à l’éducation et à la culture
Un des sujets qui me tient particulièrement à coeur est celui de l’accès à l’éducation et à la culture par des publics qui en sont éloignés, et c’est également un des objectifs de la Fondation. Pierre en est bien entendu un fervent acteur, son travail initié depuis plusieurs années maintenant avec un centre social d’Angoulême a démontré toute la faisabilité de cette démarche et surtout tout ce qu’elle apportait d’enrichissement personnel à celles et ceux qui y participaient.
Pierre Lungheretti “On porte cette ambition depuis longtemps, d’élargir la diversité de nos publics. La bande dessinée relie les générations et les catégories sociales, c’est un medium qui n’inhibe pas à priori, son accès est très attractif. Dans l’imaginaire collectif, cette familiarité avec la BD est plus répandue qu’avec d’autres formes artistiques, et comme elle a beaucoup utilisée l’humour, cela crée un préjugé favorable qui permet de faire beaucoup de choses dans l’éveil artistique. Notre projet en association avec Biblionef démarre cette année de manière expérimentale en Charente, dans certains territoires ruraux et dans deux cités éducatives urbaines avec l’appui des collectivités territoriales concernées et la participation d’éditeurs, de la DRAC, des acteurs socio-éducatifs. 3000 livres donnés par les éditeurs permettront de toucher 1000 jeunes. Le programme est construit en lien étroit avec le service d’action culturelle de la Cité”
La bande dessinée creuset d’inspirations
Pierre Lungheretti “La bande dessinée croise à la fois la littérature et l’art visuel. Initiation à l’enjeu du récit et de la représentation par les arts graphiques, elle ouvre sur d’autres perspectives et interagit avec tous les arts du récit que ce soit le cinéma, toutes les formes narratives, les arts visuels. La bande dessinée est un éveil à la façon dont l’image décrypte le réel. Des artistes de bande dessinée sont maintenant dans les galeries d’art contemporain. La bande dessinée a donné lieu à des films d’auteurs français et étrangers, de plus en plus de cinéastes adaptent des albums de BD tels que La Vie d’Adèle, (adapté de l’album Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh) ou Gemma Bovery d’Anne Fontaine (adapté de la BD éponyme de Posy Simmonds). Elle a également inspiré de grands couturiers comme Castelbajac, Jean Paul Gaultier…“
Un rayonnement international amplifié, grâce à la Fondation
Pierre Lungheretti “La Cité travaille également avec le Mexique en lien avec l’Agence française de développement et la communauté d’agglomération de Grand Angoulême pour créer une maison des auteurs, des projets similaires sont en cours au Pérou, aux USA.
A Angoulême, la Maison des Auteurs accueille en permanence des auteurs venus de différents pays. La France et Angoulême sont reconnus comme un territoire de référence pour ces artistes.
Lors de la réouverture du musée, le public pourra découvrir la richesse et le foisonnement de la nouvelle génération d’artistes de l’ Afrique Sub-saharienne. La Cité est en connexion permanente avec cette créativité de la BD à l’international“
Je suis certaine que lorsque vous passerez devant ces deux bâtiments patrimoniaux qui composent la Cité de la BD à Angoulême, vous aurez une idée différente de ce qui se passe à l’intérieur, de tout ce qui s’y diffuse, ce qui s’y infuse de bouillonnement culturel et patrimonial. Et je l’espère, vous aurez envie de pousser les portes si vous ne l’avez pas encore fait.
C’est possible dès le 19 mai pour voir les expositions. La librairie est quant à elle toujours ouverte aux heures habituelles.
Et enfin pour illustrer les passerelles et interactions entre l’univers BD et les autres formes artistiques, la Cité propose une exposition évènement. Picasso et la bande dessinée, va nous permettre d’explorer l’histoire foisonnante de ces échanges et appropriations croisées. Du 16 juin au 02 janvier 2022.