Alfred de Vigny est l’une des grandes figures du romantisme français. Traversée par une vision désenchantée de l’existence et un pessimisme omniprésent, son oeuvre fait partie des plus belles pages de ce courant emblématique du 19 è siècle. Comment dès lors imaginer que ce même homme était également un viticulteur-entrepreneur avisé développant avec amour et passion sa propriété viticole de cognac ? La réponse est au Maine Giraud, qui appartient aujourd’hui à la famille Durand depuis 5 générations.
Autant vous dire tout de suite, j’ai adoré la visite, cette plongée dans l’histoire de France et l’histoire littéraire entremêlées. J’ai découvert avec étonnement et intérêt la modernité avec laquelle Alfred de Vigny s’était emparé du sujet du cognac.
Les dégustations des productions de la famille Durand concluent avec élégance cette visite. La même passion d’exigence et de qualité anime le célèbre propriétaire romancier et les propriétaires producteurs actuels à un siècle et demi de distance.
Alfred de Vigny, militaire et figure du romantisme
Né en 1797, d’une famille de noblesse d’épée à la fois du côté parternel et maternel, Alfred de Vigny entame lui aussi, mais sans goût particulier, une carrière militaire qu’il achèvera 15 ans après comme capitaine, après s’y être ennuyé. Militaire le jour, poète la nuit, il se nourrit de ce qu’il vit, des caractères des hommes et notamment des simples soldats. Son recueil de nouvelles “Grandeurs et servitudes militaires” restitue cet univers qu’il quitte à 30 ans.
Le succès arrive dès ses premières publications en 1826. Romans, drames historiques, nouvelles, l’écrivain a promené son pessimisme désenchanté et son stoïcisme exigeant tout au long de son oeuvre multiforme.
Alfred de Vigny propriétaire terrien et viticulteur
Un coup de coeur
Son grand-père maternel, le marquis et amiral de Baraudin, avait acheté le Maine Giraud en 1768 afin de rester proche des ports de Rochefort et de La Rochelle. La première visite du jeune Alfred de Vigny fut celle du coup de coeur : « Je fus épris de son aspect mélancolique et grave et en même temps je me sentis le cœur serré à la vue de ses ruines ». En effet, le domaine légué par sa tante est en piteux état : la maison de maître est à l’abandon, les dépendances agricoles quasiment détruites, et les dettes conséquentes !
Refusant de vendre cette propriété, il entreprend alors de la restaurer. Ce sera l’autre oeuvre de sa vie. Il fait planter des vignes, achète un alambic d’occasion, et produit de l’eau-de-vie destinée au cognac.
Un habile gestionnaire
Attentif au prix du marché, négociant lui-même le prix de ses eaux-de-vie et fustigeant la non qualité et les contrefaçons qui portent atteinte au cognac, il s’avère d’un modernisme étonnant.
Dans ce carnet original que j’ai eu la chance de pouvoir consulter, Alfred de Vigny a collé un article de journal parlant de l’expérience menée par un pharmacien de Saintes pour pouvoir détecter les eaux-de-vie frauduleuses. Je vous laisse lire sa note manuscrite en dessous de l’article…
Gestionnaire avisé et prudent, il constate dans un écrit 10 ans plus tard que “la dépense n’a pas excédé la recette”. Le domaine est sauvé grâce à lui.
La propriété en ruine est devenue une propriété de rapport qui permet à Alfred de Vigny d’en vivre et un lieu de consolation face à des échecs littéraires et politiques ou à sa houleuse élection à l’Académie Française… Dans sa tour reconstruite, dans une pièce minuscule et monastique, il écrira quelques unes de ses plus belles pages dont le célébrissime poème “La mort du loup”.
Le Maine-Giraud et le paysage charentais seront pour lui un lieu d’inspiration et de consolation face à une vie faite également de vicissitudes et de soucis de santé. En témoigne ce sonnet à Evariste Boulay-Paty en 1852
Il est une contrée où la France est bacchante
Où la liqueur de feu mûrit au soleil,
Où des volcans éteints frémit la cendre ardente,
Où l’esprit des vins purs aux laves est pareil
Là, près d’un chêne, assis sous la vigne pendante,
Des livres préférés, j’assemble le conseil ;
Là l’Octave du Tasse et le Tercet de Dante
Me chantent l’angélus à l’heure du rêve…
Sa démarche n’est pas seulement économique, elle est également sociale. Se souciant du confort et des conditions de travail de ses ouvriers agricoles, Alfred de Vigny réhabilite des bâtiments afin que ceux ci soient bien logés, il créé une bibliothèque ouverte à tous dans le village proche de Blanzac et vit auprès des habitants.
“Une vie réussie est un rêve d’adolescent réalisé dans l’âge mûr” Alfred de Vigny
Le Maine Giraud aujourd’hui
Sans descendance directe, Alfred de Vigny avait légué sa propriété à la fille de Madame Ancelot qui tenait l’un des plus célèbres salons littéraires parisiens de l’époque. Puis la propriété s’endormit peu à peu, et la crise du phylloxera fit disparaître les vignes.
Aujourd’hui le Maine Giraud, entouré de vignes, est la propriété de la famille Durand depuis 5 générations.
Mathieu Durand, poursuit avec conviction et passion cette saga qui allie la recherche des meilleures eaux de vie et vins de pays avec la transmission de l’histoire qu’Alfred de Vigny a tracé dans ce domaine qu’il aimait tant.
Le bâtiment principal, par lequel on accède par cette jolie porte, abrite un musée dédié au grand homme.
Situé dans l’ancienne salle à manger, il comporte de nombreux documents écrits par l’écrivain, photos et tableaux.
Et cerise sur le gâteau, on peut emprunter l’escalier étroit et accéder à la très petite pièce qui lui servait de refuge.
Dans l’escalier, une pierre portant la mention de 1464, date cette partie mais le premier édifice remonte probablement au 12è siècle.
Classé depuis 1967 à l’inventaire complémentaire des Monuments Historiques, le Maine Giraud fait partie du cercle fermé des maisons d’écrivains
Les productions du Maine Giraud
En sortant du bâtiment principal la visite se poursuit vers la distillerie, et la salle de dégustation.
Un autre bâtiment situé dans la cour accueille des expositions temporaires et est loué pour des évènements : séminaires, mariages, fêtes de famille…
Venir au Maine Giraud, dans les Fins Bois est l’assurance d’apprécier à votre rythme une visite libre qui associe histoire de France, histoire du cognac, littérature et gastronomie dans un cadre magique et authentique. Si vous êtes dans la région, n’hésitez surtout pas.
La mort du loup (extrait)
Un auto-portrait en creux de l’auteur dont le stoïcisme érigé en principe de vie au quotidien, lui a fait endurer sans mot, à la fois la grave maladie de son épouse qu’il accompagna jusqu’à ses derniers jours, et sa propre maladie qui l’emporta 3 ans après elle.
Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.